Ça vibre comment pour toi ?

LE FÉMINISME

Ça vibre comment pour toi ? est une chronique dans laquelle Une Âme de Scribe choisit un mot pour en interroger le sens, la connotation et la vibration. Le mot du jour est inspiré de l’actualité récente, relative à la révocation du droit à l’avortement par la Cour Suprême des États-Unis. Cette nouvelle a suscité de nombreuses réactions pro et anti-IVG, ce qui n’a pas manqué de réactiver le féminisme.

Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon.

Jón Kalman Stefánsson, Entre ciel et terre

La semaine dernière, alors que je parcourais LinkedIn, je suis tombée sur la publication d’un homme qui commençait par cette mise en garde : « Je ne suis pas féministe » ! Tandis que la suite de son propos soutenait visiblement le contraire. En fin de journée, nouvelle publication de sa part pour expliquer qu’il a préféré supprimer son post précédent, en raison des trop nombreux commentaires agressifs et jugements qu’il avait suscités – plus de 20 000 vues et 200 réactions !?

 

Comme si le mot « féminisme » était chargé d’une vibration si lourde et négative qu’il devenait difficile d’en assumer l’emploi. Alors j’ai voulu interroger ce mot et regarder comment ça résonne individuellement et collectivement.

1. Définition

Je suis d’abord allée en vérifier le sens dans le dictionnaire. Une définition, par essence, est une information neutre et objective qui renseigne sur la signification d’un mot, indépendamment des interprétations, perceptions et jugements personnels qu’on peut lui apposer.

 

Ça me semblait important de repartir du noyau dur, pour m’assurer de quoi on parle vraiment, quand on évoque le « féminisme ». Eh bien, j’ai été surprise ! Lisez plutôt :

Courant de pensée et mouvement politique, social et culturel en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Dictionnaire Le Larousse

Doctrine qui préconise l'égalité entre l'homme et la femme, et l'extension du rôle de la femme dans la société.

Le Petit Robert

Donc, ce mot qui effraie presque tout le monde – à l’exception de ses défenseur·e·s – désigne en fait un courant de pensée qui prône spécifiquement l’égalité homme-femme ! Ni plus, ni moins. La cause féministe n’aurait de féminin que le nom ! C’est une cause qui soutient aussi bien les femmes que les hommes. On est loin de la croyance populaire qui accuse le féminisme de vouloir dominer les mâles ! Au regard de cette définition, être féministe n’est ni une menace, ni une insulte. C’est aussi bien défendre l’égalité salariale pour les femmes, que l’allongement du congé paternité pour les hommes !

 

Je trouve cette définition assez consensuelle ! Alors pourquoi, est-ce si difficile, voire impossible aujourd’hui de revendiquer son féminisme sans nécessairement passer pour hystérique, extrémiste ou misandre ? Parce que ce mot est atrocement connoté !

2. Connotation

Une connotation, c’est quoi ? C’est un sens second qui s’ajoute au sens littéral. Voir l’article Le vocabulaire connoté du site Alloprof, qui en donne une explication simple et très pédagogique :

La connotation est un sens second dont le mot n'est pas systématiquement porteur et qui est conféré par les personnes qui font usage de la langue au quotidien. Souvent, c'est la culture, les conventions sociales, dont plusieurs existent depuis longtemps, qui ont donné une valeur supplémentaire que celle déjà attribuée par la définition des mots.

Alloprof, Le vocabulaire connoté

L’article Dénotation et connotation de Wikipédia, précise :

Le champ de la connotation est difficile à définir, car il recouvre tous les sens indirects, subjectifs, culturels, implicites et autres

Wikipédia, Dénotation et connotion

Quelques fois, il arrive que la connotation soit si répandue et partagée qu’elle se substitue au sens premier (ou littéral) du mot et lui confère un sens nouveau qui finit par s’imposer dans l’inconscient collectif. Lorsqu’un mot est ainsi déformé et détourné par une utilisation erronée ou abusive, on dit de celui-ci qu’il est « galvaudé ».

 

En l’occurrence, « féminisme » en est un bel exemple. Ce mot est connoté négativement et souffre de préjugés tenaces qui le desservent sérieusement. J’en compte au moins trois :

 

⚠️ Préjugé n°1 – le féminisme est un mouvement sexiste

⚠️ Préjugé n°2 – le féminisme est un mouvement extrémiste

⚠️ Préjugé n°3 – le féminisme est un mouvement hégémoniste

 

Vu comme ça, difficile de ne pas y être réticent !

 

Actuellement, le féminisme n’est plus compris comme une posture en faveur de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, mais comme une lutte radicale des femmes pour les droits des femmes… Dont les hommes seraient exclus !

 

Bon, c’est vrai que le nom est trompeur… Étymologiquement, ça vient du latin femina = femme. Quel  est le message inconscient véhiculé par un terme dont l’étymologie = femme ? Je me demande si un terme moins genré – plus congruent avec l’intention égalitaire poursuivie par le féminisme – ne serait pas plus fédérateur et plus inclusif…

 

Une fois ces éléments posés, je comprends qu’un homme ne se sente pas très concerné par le féminisme ou – pire – y soit carrément réticent. Car au-delà du sens et des connotations, viennent s’ajouter nos perceptions personnelles. C’est là que ça commence à devenir complexe et très intéressant.

3. Perceptions

Tous les mots produisent des effetspositifs, négatifs ou neutres – sur la psyché humaine. Ces effets varient d’une personne à l’autre, selon l’expérience individuelle – agréable ou désagréable – propre à chacun·e. C’est ainsi que certains mots nous laisseront indifférents, quand d’autres viendront nous bercer, nous enthousiasmer, ou encore nous crisper ou nous bloquer. Ces différentes perceptions résultent d’un ensemble d’éléments issus du contexte personnel des individus.

 

Plusieurs facteurs peuvent raisonnablement expliquer qu’une personne soit plus ou moins sensible au « féminisme ». Parmi eux :

 

🔶 Son genre : masculin ou féminin

Si le genre n’est pas déterminant en soi, il participe néanmoins beaucoup au fait de se sentir plus ou moins concerné·e par le sujet. Une femme sera vraisemblablement plus encline à se déclarer féministe qu’un homme – ce qui n’empêche pas de rencontrer des femmes totalement hermétiques au féminisme et des hommes fervents défenseurs de la cause.

 

🔶 Son degré d’ignorance ou d’instruction

Une personne (un peu) instruite sur la question du féminisme, sera en mesure de discerner les projections que les gens en ont, de ce qu’il en est vraiment. À l’inverse, une personne ignorante qui ne se fonde que sur des préjugés, risquera de se maintenir dans une posture de stigmatisation et de rejet.

 

🔶 Son vécu personnel

Une personne qui fait l’expérience de l’inégalité ou de la discrimination – que ce soit en raison de son genre, de son âge, de son orientation sexuelle, de sa couleur de peau, de sa morphologie, de son état de santé, de sa religion… – est plus susceptible de développer de l’empathie envers le mouvement féministe que si elle fait l’expérience du privilège.

 

En raison du caractère personnel et individuel des perceptions, il existe donc autant d’interprétations du féminisme que d’êtres humains sur Terre. Une certitude, ce mot ne laisse personne insensible :

👉 Il y a celles et ceux qui le revendiquent avec timidité ou conviction ;

👉 Celles et ceux – plus engagé·e·s – qui militent fièrement en sa faveur ;

👉 Il y a ses détracteur·trice·s, féroces ou mesuré·e·s ;

👉 Et puis les indécis·e·s, par indifférence ou crainte d’être vilipendé·e·s.

4. Résonance

Enfin au-delà du sens, des connotations et des perceptions, il y a ce que j’appelle la résonance ! Impalpable mais bien perceptible. La résonance ou la vibration, c’est cette dimension invisible, inexplicable, instinctive, spontanée qui flotte dans l’air et diffuse comme un parfum discret. La résonance est donc bien plus vaste que la perception d’ordre mental.

 

La résonance est chargée, positivement ou négativement, de toutes les connotations collectives et perceptions individuelles, présentes ET passées. Elle est chargée de toutes les mémoires que véhicule le mot dont elle se fait l’écho.

 

Ainsi, plus un mot est chargé d’histoire, plus sa résonance sera imprégnée des vestiges des actions menées en son nom. C’est dire si le « féminisme » porte un lourd tribut ! Certes son existence est assez récente : le premier mouvement féministe organisé date en effet du XIXe siècle (pour un résumé concis, voir l’article Feminism and Women’s Rights Movements). Mais les inégalités et revendications qui lui ont donné naissance, elles, sont anciennes et les blessures profondes.

 

Je ne peux pas m’empêcher de penser, entre autres mémoires douloureuses, à la « chasse aux Sorcières ». Dans son livre Le complexe de la Sorcière, Isabelle Sorente interroge l’idée selon laquelle nous serions tous – hommes et femmes – marqués du souvenir de l’époque où les femmes étaient envoyées au bûcher. J’en suis  personnellement convaincue : nous sommes tous marqués des cicatrices de nos ancêtres.

 

C’est ainsi que la question du « féminisme » vient nous déclencher, un peu malgré nous. Elle vient, en effet, réactiver des blessures anciennes liées au masculin et au féminin, qui n’ont pas encore été guéries. Il me semble que tant que les hommes et les femmes n’auront pas pacifié en eux ces conflits, dont ils portent les stigmates :

👉 Les premiers continueront de se sentir « accusés » ou « menacés » par le féminisme ;

👉 Les secondes continueront ou d’être très radicales dans leur engagement ;

👉 Ou d’avoir « peur » de s’engager (par crainte du bûcher).

 

Ça demande un effort et un courage colossaux d’aller regarder en soi ces espaces meurtris. Mais une fois nettoyés et libérés, la paix peut enfin s’installer. Alors seulement, il devient possible d’accueillir le féminisme pour ce qu’il est, sans que cela ne devienne un terrain violent de règlements de compte.

5. Personnellement ?

Je ne me suis pas toujours sentie en paix avec le mot « féminisme ». Au début, je m’en réclamais quelque peu de manière vindicative. J’étais jeune femme, j’avais vécu des violences sexuelles (mais pas que…) de la part de certains hommes et j’avais, par conséquent, un sérieux contentieux à régler avec le masculin. Le féminisme était une manière de faire entendre ma voix de femme blessée.

 

Puis je l’ai rejeté en bloc. Plus précisément, ce n’est pas le féminisme que j’ai rejeté, mais la perspective d’être jugée comme une furieuse hystérique qui mettrait tous les hommes dans le même panier. Je me défendais de tout ressentiment, de toute rancœur et de toute colère. C’est dire à quel point j’étais loin de la paix intérieure que je prétendais incarner. Renier le féminisme, était une façon de me faire croire que je m’étais réconciliée avec les hommes.

 

Finalement j’y reviens aujourd’hui, de manière plus juste et plus équilibrée (je crois). Pas que j’aie complètement soldé mon litige avec le masculin, mais d’avoir entrepris un chemin de conscience et de responsabilité, je mets désormais du sens (et donc de l’amour) sur ce que j’ai vécu. Je suis en mesure de saisir pleinement toute la richesse et tout le merveilleux de l’expérience humaine, quelle qu’elle soit.

6. Responsabilité

À mon sens donc, la difficulté à employer le terme « féminisme » ou « féministe » vient moins du mot lui-même que de soi. Questionner ce qui résiste à l’intérieur de soi, au lieu de juger l’autre ou d’accuser le « féminisme » d’être ce qu’il n’est pas, c’est reprendre sa responsabilité et s’offrir la possibilité de se rencontrer.

 

Il suffit d’observer comment les personnes réagissent au sujet du féminisme pour comprendre où elles en sont sur leur chemin de guérison. Sitôt que j’ai une réaction excessive, un endroit à l’intérieur de moi demande à être regardé, une blessure réclame à être pansée, un manque exige d’être comblé.

 

J’ai coutume de dire qu’en toute circonstance, la clé réside dans l’équilibre. Une personne pacifiée aura une posture alignée et équilibrée. Une personne qui vit un conflit intérieur réagira de manière conflictuelle (agresseur ou agressée). La réaction de nombreux hommes consistant à préciser « not all men », comme  si le fait de dénoncer l’existence d’une domination masculine (réelle) équivalait à accuser TOUS les hommes d’en être coupables, est assez symptomatique de ce conflit intérieur. Un homme qui a soigné et libéré son masculin blessé ne se sentira ni accusé, ni menacé par le féminisme.

 

🔶 Si je ne suis pas (totalement) en paix :

Ou bien je serai dans le rejet radical et systématique de toutes idées non conformes aux miennes ;

Ou bien je serai capable d’entendre un discours féministe, à la condition qu’il soit nuancé, diplomate, pacifique, inclusif – autrement dit un discours qui prendrait soin de ma blessure, celle que je ne suis pas capable de panser moi-même.

 

🔶 Si je suis totalement en paix :

Je serai capable de manifester et d’assumer mon engagement, sans m’identifier aux actions  plus radicales ;

Je serai capable d’accueillir l’engagement – mesuré ou non – d’autrui, sans me sentir attaqué·e, menacé·e ou accusé·e ;

Je serai capable d’accueillir la radicalité de mes opposant·e·s les plus virulent·e·s, sans me sentir personnellement jugé·e, incompris·e ou offensé·e.

7. Ouverture

Si le « féminisme » fait réagir excessivement, dans un sens ou dans un autre, c’est parce qu’il porte le poids d’un très lourd contentieux. Dans ma vision personnelle, ces réactions n’ont d’autre finalité que de nous inviter à l’introspection, de manière à sortir de la relation bourreau-victime. Se faisant, nous pouvons reprendre l’entière responsabilité de nos émotions et accueillir pleinement celle de nos interlocuteur·trice·s.

 

Voici les 3 clés que je m’applique pour reprendre ma responsabilité :

🔑 Regarder le sens des mots qui déclenchent une émotion / réaction ;

🔑 Interroger mon histoire personnelle pour comprendre d’où ça vient ;

🔑 Pacifier les choses à l’intérieur de moi avant d’accuser l’extérieur.

 

S’agissant du féminisme, dont je me revendique (peut-être l’aurez-vous compris), je me questionne encore. Si l’intention de ce mouvement est d’impacter le plus grand nombre et de porter haut et fort le message de l’égalité homme-femme, ne serait-il pas temps de rebaptiser le mouvement, de réinventer le discours, de manière à toucher aussi bien les femmes que les hommes ?

 

A contrario, si le mot féminisme est remplacé par un terme plus générique, n’invisibilise-t-on pas les femmes ? Car les blessures sont réelles et profondes. La virulence de certaines est proportionnelle aux traumatismes subis. Reconnaître leur statut de victime ne serait-il pas un préalable nécessaire à toute tentative de pacification individuelle et collective ?

 

Je ne détiens aucune vérité, mais humblement j’explore… Je serai heureuse de nourrir ma réflexion de vos retours. Je vous invite à me partager en commentaire : comment ça vibre pour vous, le féminisme ?

 

Je suis Sophie, fondatrice d’Une Âme de Scribe, rédactrice et semeuse de graines de conscience. J’écris essentiellement pour les entrepreneur·e·s spirituels et thérapeutes alternatifs. Si cet article résonne en vous, si vous avez besoin d’une plume juste et alignée pour délivrer vos messages de façon vibrante et impactante, contactez-moi via mon formulaire, je serai heureuse de vous répondre.